Loi de séparation des Églises et de l'État





Page d'aide sur l'homonymie Cet article concerne surtout l'histoire de la loi. Pour ses implications, voir Laïcité en France et Histoire de la laïcité en France.



Loi de séparation des Églises et de l’État







Description de l'image Loi de séparation des églises et de l’État. Page 1 - Archives Nationales - AE-II-2991.jpg.





















Présentation
Titre
Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État Archives nationales
Pays
Drapeau de la France France
Territoire d'application
France sauf Alsace-Moselle où le concordat n’a pas été abrogé.
Type
Loi ordinaire





























Adoption et entrée en vigueur
Législature
Troisième République
Gouvernement
Gouvernement Maurice Rouvier (2)
Promulgation
9 décembre 1905
Entrée en vigueur
1er janvier 1906
Version en vigueur
Version consolidée au 19 mai 2011

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La loi concernant la séparation des Églises et de l’État[1] est une loi adoptée le 9 décembre 1905 à l’initiative du député républicain-socialiste Aristide Briand, qui prend parti en faveur d’une laïcité sans excès. Elle est avant tout un acte fondateur dans l’affrontement violent qui a opposé deux conceptions sur la place des Églises dans la société française pendant presque vingt-cinq ans.


Elle remplace le régime du concordat de 1801, qui est toujours en vigueur en Alsace-Moselle pour des raisons historiques (les élus alsaciens en faisaient une des trois conditions d’acceptation de leur rattachement à la France en 1919, sans quoi ils demandaient un référendum, que la France ne pouvait prendre le risque de perdre après une guerre si meurtrière).


Elle fut complétée en 1924 par l’autorisation des associations diocésaines, qui permit de régulariser, 18 ans plus tard, la situation du culte catholique.




Sommaire






  • 1 Contexte : une séparation douloureuse


    • 1.1 La genèse


    • 1.2 Le cabinet de Défense républicaine de Waldeck-Rousseau


    • 1.3 Émile Combes


    • 1.4 La rupture des relations diplomatiques avec le Vatican (1904)




  • 2 Les travaux préparatoires


    • 2.1 La commission Buisson-Briand


    • 2.2 L’action décisive du rapporteur Aristide Briand


    • 2.3 La bataille de l’article 4


    • 2.4 Vote et promulgation de la loi




  • 3 La loi de séparation et ses conséquences


    • 3.1 Le contenu de la loi en 1905


    • 3.2 Une loi rejetée par le Vatican


    • 3.3 La tourmente des inventaires


    • 3.4 Une France divisée avant l’apaisement


      • 3.4.1 Le gouvernement Clemenceau




    • 3.5 La guerre et l’apaisement




  • 4 Bilan et perspectives


    • 4.1 Conséquences immédiates


    • 4.2 Caractère constitutionnel de la loi de 1905


    • 4.3 Outre-mer


    • 4.4 Cas de l’Alsace-Moselle


    • 4.5 Évolutions


    • 4.6 Réformes récentes


    • 4.7 Notoriété




  • 5 Notes et références


    • 5.1 Notes


    • 5.2 Références




  • 6 Voir aussi


    • 6.1 Articles connexes


    • 6.2 Liens externes


    • 6.3 Bibliographie







Contexte : une séparation douloureuse |


Article connexe : Histoire de la laïcité en France.


La genèse |


À la suite de John Locke, les philosophes des Lumières relancent à travers l’Europe du XVIIIe siècle la question de la séparation de l’Église et de l’État[2]. En France, la première séparation est instaurée, de fait, en 1794, par la Convention nationale, par le décret du 2 sansculottides an II (18 septembre 1794), qui supprime le budget de l’Église constitutionnelle, et confirmée le 3 ventôse an III (21 février 1795) par le décret sur la liberté des cultes, qui précise, à son article 2, que « la République ne salarie aucun culte ». Cette première séparation prendra fin avec la signature du concordat de 1801.


La République de 1848 fut secouée par une guerre de classes très dure. En réaction à la peur sociale, la bourgeoisie libérale incarnée par Adolphe Thiers se réconcilia avec les conservateurs catholiques. La loi Falloux de 1850 instaura la liberté d’enseignement au bénéfice de l’Église ; les maîtres des établissements catholiques pouvaient enseigner sans les titres exigés des autres, ce que Victor Hugo combattit avec éloquence mais sans succès. Ce succès encouragea l’Église à s’opposer aux républicains tout au long du XIXe siècle attaquant sans relâche le monde moderne, le libéralisme, la démocratie et la République, dans ses nombreux journaux, dans les prônes dominicaux et dans les encycliques pontificales. L’Église s’inquiétait et dénonçait l’affaiblissement des convictions religieuses, la montée en puissance du positivisme et du scientisme, mais surtout la menace d’unification de l’Italie que le mouvement nationaliste italien faisait peser sur les États pontificaux. Par réaction, la Troisième République fut fondamentalement anticléricale.



Le cabinet de Défense républicaine de Waldeck-Rousseau |


Après Jules Ferry (années 1880), il se passe près de vingt ans sans véritable changement dans les domaines de la laïcisation. Avec l’affaire Dreyfus qui explose en 1898, la France se divise en deux camps : « dreyfusards » (parmi lesquels on trouve une partie de la gauche) et « antidreyfusards » (parmi lesquels on trouve de nombreux hommes de droite et une grande partie de la hiérarchie militaire). Il serait cependant erroné de ramener l’affaire Dreyfus à un affrontement entre gauche républicaine et droite cléricale et militariste (le premier défenseur de Dreyfus, le colonel Picquart, est un militaire catholique). La grâce présidentielle accordée à Dreyfus en septembre 1899 n’est qu’un compromis. L’affaire, qui a vu l’explosion de l’antisémitisme et la polarisation de la société, conduit à un regain d’anticléricalisme à gauche.


En juin 1899, Pierre Waldeck-Rousseau forme le cabinet de Défense républicaine, qualifié par le camp nationaliste de « cabinet Dreyfus ». Waldeck-Rousseau s’abstient toutefois de prendre des mesures sur le plan religieux, mais promulgue la loi 1901 sur les associations. Celle-ci prévoit d’une part un régime de liberté pour la création des associations ; d’autre part un régime d’exception pour les congrégations religieuses, qui dispose que chaque congrégation doit être autorisée par une loi, qu’elle doit se soumettre à l’autorité de l’évêque ordinaire et qu’elle peut être dissoute par un simple décret, selon l’article 14 de la loi. La plupart des congrégations (environ quatre sur cinq) déposent leur demande d’autorisation. Celles qui s’y refusent sont dissoutes en octobre 1901, mais Waldeck-Rousseau informe le Vatican que les demandes d’autorisation seront examinées avec mesure. En janvier 1902, le Conseil d’État déclare que l’autorisation préalable nécessaire aux congrégations s’imposera désormais à toute école dans laquelle enseignent des congréganistes, quel que soit leur nombre.


Aux législatives de 1902, le Bloc des gauches, coalition républicaine, l’emporte et reprend l’œuvre entamée par Ferry. Émile Combes forme un nouveau gouvernement.



Émile Combes |


Article détaillé : Émile Combes.



Caricature parue dans Le Rire, 20 mai 1905. L’homme au milieu est Jean-Baptiste Bienvenu-Martin, ministre de l’Instruction publique du cabinet Rouvier.


Son premier passage au gouvernement en 1895 comme ministre de l’Instruction publique et des Cultes lui permet de mettre en pratique ses convictions anti-catholiques. En 1902, Émile Combes, surnommé « le petit père Combes », ex-séminariste devenu athée et adversaire déterminé de la religion, est porté au gouvernement par une poussée radicale, au terme d’élections qui se sont faites sur le thème : pour ou contre le fait d’appliquer la loi de 1901 avec une vigueur accrue ?


Combes ne cache pas dès son investiture sa volonté de mener une politique « énergique de laïcité ». Cette déclaration est suivie d’un durcissement des dispositions prises précédemment par Waldeck-Rousseau : les demandes d’autorisations sont refusées en bloc, pour assurer définitivement la victoire du laïcisme anticlérical sur le catholicisme. Ainsi, en juillet 1902, les établissements scolaires non autorisés (environ 3 000) des congrégations autorisées sont fermés : cette mesure donne lieu à de nombreux incidents, toutefois principalement limités aux régions les plus catholiques (l’Ouest de la France, une partie du Massif central), et 74 évêques signent une « protestation ». Le gouvernement réplique en suspendant le traitement (salaire) de deux évêques.


Une nouvelle étape est franchie en mars 1904 : toutes les demandes d’autorisation des congrégations masculines sont rejetées. En juillet 1903, les congrégations féminines avaient subi le même sort. Ceci provoque des désaccords au sein même de la majorité républicaine, Waldeck-Rousseau reprochant même à Combes d’avoir transformé une loi de contrôle en loi d’exclusion. De fait, religieux et religieuses sont expulsés de France. Ceux qui résistent en prétendant au droit de rester dans leurs couvents sont expulsés manu militari, tels les chartreux, que des gendarmes viennent tirer de leur retraite pour appliquer la loi d’interdiction. C’est ainsi que des milliers de religieux trouvent refuge dans des terres plus hospitalières : Belgique, Espagne, Royaume-Uni…


En fait, en 1902, huit propositions avaient été déposées, et Émile Combes, pour étouffer ces tentatives, crée le 11 mars 1904 une commission chargée d’examiner ces propositions et de rédiger un projet de loi.


Sourd aux critiques émanant de la droite, indifférent aux appels radicaux de Clemenceau, qui réclame la suppression pure et simple des congrégations, considérées comme prolongements du « gouvernement romain » en France, Émile Combes interdit l’enseignement aux congrégations le 7 juillet 1904, et leur enlève ainsi également la possibilité de prêcher, de commercer, étant entendu que les congrégations enseignantes doivent disparaître sous un délai de dix ans. Combes prépare ainsi une laïcisation complète de l’éducation.



La rupture des relations diplomatiques avec le Vatican (1904) |


Émile Combes lui-même hésite à s’engager fermement pour la séparation des Églises et de l’État : en effet, les relations entre l’Église catholique et l’État sont toujours régies en 1904 par le concordat signé entre Napoléon Bonaparte et le pape un siècle plus tôt, et ce concordat permet au gouvernement de contrôler le clergé français en nommant les évêques. Combes craint de perdre ce contrôle sur l’Église en s’engageant pour la séparation, mais la suite des événements ne lui laisse guère d’autre solution :



  • d’une part, en juin 1903, une majorité de députés décide qu’il y a lieu de débattre d’une éventuelle séparation et constitue une commission dont Aristide Briand est élu rapporteur ;

  • d’autre part, le pape Léon XIII meurt en juillet 1903, et son successeur, Pie X, n’a pas la même politique : les incidents entre la France et le Vatican se multiplient.


L’interdiction de l’enseignement aux congrégations provoque un conflit avec le pape qui entraîne la rupture des liens diplomatiques entre le gouvernement français et la papauté. Et l’on sent bien désormais qu’il n’y a plus qu’un pas à franchir vers la séparation. De plus, le projet mûrit rapidement, car le pape, directement touché par les mesures sur les congrégations qui dépendent de Rome, s’attaque nommément à Émile Combes.


La visite du président de la République Émile Loubet au roi d'Italie Victor-Emmanuel III, dont le grand-père a annexé la ville de Rome, est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : le Vatican envoie des lettres de protestation antifrançaises aux chancelleries européennes. Lorsque le gouvernement français en a écho, en mai 1904, il rompt immédiatement les relations diplomatiques avec le Saint-Siège.


La fin des relations entre la République et la papauté rend le régime concordataire caduc : la séparation est donc urgente, et Combes s’y rallie : il propose un projet sans tenir compte des travaux de la commission Briand, mais il est déstabilisé et contraint à démissionner par le scandale de « l’affaire des fiches » : le ministre de la Guerre, le général André, avait utilisé des réseaux franc-maçons pour espionner les officiers, connaître leurs opinions religieuses et freiner l’avancement des officiers jugés insuffisamment républicains. C’est le successeur de Combes, Maurice Rouvier, qui va mener la séparation jusqu’à son terme.



Les travaux préparatoires |



La commission Buisson-Briand |


La commission est composée de trente-trois membres, dont une majorité absolue de dix-sept députés ouvertement favorables à la séparation. Elle est présidée par Ferdinand Buisson et son rapporteur est Aristide Briand. Ferdinand Buisson, qui se revendique « protestant libéral », est le président de l’Association nationale des libres penseurs et est célèbre pour son combat pour un enseignement gratuit et laïque, à travers la Ligue de l'enseignement ; également grand commis de l’État, proche de Jules Ferry, il a contribué à diffuser le substantif « laïcité »[réf. nécessaire] — terme qui n’est pas mentionné par la loi de 1905[3] —, dérivé du vocabulaire théologique (le laïc désignant, dans la religion catholique, le fidèle baptisé non clerc), par son Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire. Le rapporteur de la commission, Aristide Briand, a quarante-trois ans, il est député depuis trois ans, et est athée et tolérant. Parmi les trente-trois membres de la commission, on compte cinq membres exécutifs de l’Association nationale des libres penseurs, ce qui inquiète les députés modérés.


On y voit l’affrontement avec les partisans d’une destruction complète de l’Église, parmi lesquels Maurice Allard, Victor Dejeante ou Albert Sarraut, qui veulent contrôler l’Église par l’État, lui retirer ses biens et la jouissance des églises et des cathédrales (transformées en maisons du peuple, théâtres, bourses du travail), ou les gérer par un « conseil communal d’éducation sociale »[4]. Briand et Buisson comprennent qu’une loi de conciliation est nécessaire pour éviter un affrontement désastreux.


Briand prend même contact avec des ecclésiastiques, la chute du combisme donnant du poids à ses idées. Maurice Rouvier arrive à la présidence du Conseil ; peu au courant des questions religieuses, il reprend à son compte le projet de la commission pour trouver une solution. Aristide Briand présente le 4 mars son projet à la chambre. C’est un texte exhaustif qui comporte une longue partie historique, des études des situations des cultes catholique, protestant et israélite, une comparaison avec les législations d’autres pays et présente un projet synthétique. Il devient, après discussion, la loi française de séparation des Églises et de l’État.



L’action décisive du rapporteur Aristide Briand |


Le nouveau projet de loi déposé dès la formation du gouvernement Rouvier s’inspire beaucoup du travail de la commission dirigée par Aristide Briand, dont le rapport a été déposé le 4 mars 1905. D’emblée, Briand déclare la « séparation loyale et complète des Églises et de l’État » comme réponse indispensable aux difficultés politiques qui divisent la France.


La tâche d’Aristide Briand s’annonce complexe : il va devoir convaincre une partie de la droite catholique que cette loi n’est pas une loi de persécution de l’Église, sans toutefois se montrer trop conciliant aux yeux d’une gauche radicale ou d’une extrême gauche qui voudrait éradiquer le « bloc romain ».


Les intérêts et les enjeux sont compliqués, provoquant des débats houleux et passionnés : gauche et droite sont divisées, et il faut tout le talent oratoire d’Aristide Briand pour réunir tout le monde autour d’un texte, au prix de quelques compromis. La chance d’Aristide Briand est que beaucoup dans l’hémicycle semblent avoir compris que la séparation était devenue inéluctable, et sa première victoire est due au fait qu’une partie de la droite catholique accepte de faire avancer le débat, non pas en tant que partisane de la séparation, mais pour obtenir des concessions qui rendront la séparation moins douloureuse pour les catholiques.


Aristide Briand a, en effet, bien conscience que si faire voter la loi est une chose, la faire appliquer en sera une autre, et qu’une loi de séparation votée par la gauche et refusée par les catholiques serait inapplicable sur le terrain. C’est pourquoi il tient à montrer qu’on ne doit pas faire une loi « braquée sur l’Église comme un revolver », mais prenant en compte les remarques acceptables des catholiques.


Il convient de considérer que Briand avait comme vieil ami Augustin Chaboseau, devenu son secrétaire particulier, qui fut le fondateur de l’Ordre Martiniste Traditionnel à la suite de Louis-Claude de Saint-Martin, dit le Philosophe inconnu, ce qui donne tout son poids au mot concernant la séparation et non directement loi de séparation.[pas clair]



La bataille de l’article 4 |


On peut considérer que la plus grosse pierre apportée à l’édifice de la séparation réside dans l’acceptation de l’article 4 de la loi, tant celui-ci aura été l’objet de craintes de part et d’autre de la Chambre des députés : c’est l’article qui doit dire à qui, dans le nouveau régime des cultes qu’est la séparation, reviendront les biens mobiliers et immobiliers de l’Église.


Les catholiques craignent que l’État ne veuille disloquer l’Église et provoquer des schismes, alors que les républicains refusent que le Vatican garde le choix des associations cultuelles aptes à bénéficier de la dévolution des biens de l’Église, et qui pourraient être basées à l’étranger. À force de compromis et notamment en déclarant que le pays républicain saura faire preuve de bon sens et d’équité, Aristide Briand accepte de revoir quelques formulations de l’article 4 proposé par Émile Combes. Le 20 avril 1905, il déclare à la Chambre :



« Nous n’avons jamais eu la pensée d’arracher à l’Église catholique son patrimoine pour l’offrir en prime au schisme ; ce serait là un acte de déloyauté qui reste très loin de notre pensée[5]. »



Alors que la première version de l’art. 4 prévoyait que les biens ecclésiastiques seraient dévolus à des associations de fidèles, sans précision, la nouvelle version, défendue à gauche par Briand et Jean Jaurès, dispose que ces associations cultuelles prévues par la loi se conformeront « aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice. »


Le catholique Albert de Mun, élu du Finistère, se félicite de ce « grand coup de pic donné à la loi »[6], tandis que le sénateur Clemenceau bataille au contraire contre ce qu’il considère comme une soumission au gouvernement romain[6]. Il traite Briand de « socialiste papalin » et accuse la nouvelle formulation de l’article de « [mettre] la société cultuelle dans les mains de l’évêque, dans les mains du pape » ; « voulant rompre le Concordat, la Chambre des députés est demeurée dans l’esprit du Concordat […] au lieu de comprendre qu’elle aurait pour premier devoir d’assurer la liberté de tous les fidèles, sans exception[6]. » Malgré cela, il vota la loi avec la majorité de la Chambre.


L’article 6 fit également l’objet de débats. La version originale prévoyait qu’en cas de conflit entre plusieurs associations cultuelles sur l’attribution des biens dévolus, les tribunaux civils trancheraient. Briand et Jaurès acceptèrent le souhait des anticléricaux de transférer l’arbitrage au Conseil d’État, plus dépendant du gouvernement, ce qui lui permet de décider arbitrairement de l’attribution des lieux de cultes.



Vote et promulgation de la loi |


Enfin, et malgré des divergences assez fortes (l’esprit de compromis dont Briand a fait preuve n’ayant pas suffi à faire taire les craintes et les protestations des catholiques, et ayant même divisé une partie de la gauche radicale), la loi fut votée le 3 juillet 1905 par 341 voix contre 233 à la Chambre, et le 6 décembre 1905 par 181 voix pour contre 102 au Sénat.


Elle est promulguée le 9 décembre 1905 (publiée au Journal officiel le 11 décembre 1905) et entre en vigueur le 1er janvier 1906.


Elle met fin à la notion de « culte reconnu » et fait des Églises des associations de droit privé. De plus l’article 4 organise la dévolution des biens des établissements religieux à des associations cultuelles.


En réaction, la Sacrée Pénitencerie du Vatican confirme en 1908 que les députés et sénateurs ayant voté la loi encourent l’excommunication[7].



La loi de séparation et ses conséquences |




Première page du projet de loi de 1905.



Le contenu de la loi en 1905 |


La nouvelle loi brise unilatéralement les engagements français relatifs au concordat napoléonien de 1801, qui régissait les rapports entre le gouvernement français et l’Église catholique. Inventant la laïcité à la française, elle proclame la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et pose le principe de séparation des Églises et de l’État.



Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes […] ». Le premier article crée un large consensus. Le texte ne laisse que peu de marge pour son application, par les mots « assure » et « garantit ».

Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] »


Cette loi se veut conforme à la devise républicaine. Par l’article 1er, l’État garantit la liberté de conscience, c’est-à-dire le droit de ne pas être croyant, ou de croire, et la liberté de culte si on l’est. Par l’article 2, l’État, les départements, les communes assurent leur neutralité à l’égard des citoyens, en refusant d’accorder des avantages spécifiques à certains en raison de leurs pratiques cultuelles.


Pour rendre effectif le libre exercice du culte, sont instituées des aumôneries dans les milieux fermés (casernes, lycées, prisons, hôpitaux) et, plus tard, des émissions religieuses sur les chaînes publiques de télévision[réf. souhaitée].


Instituées par l’article 4 de la loi, les associations cultuelles dont l’objet exclusif est l’exercice du culte sont de type 1901. Elles ne doivent pas avoir d’autres buts, notamment elles ne peuvent pas se livrer à des activités sociales, culturelles, éducatives ou commerciales. En revanche, elles disposent d’un avantage fiscal important, levier financier très appréciable. Elles peuvent recevoir des donations et des legs qui sont exonérés de droits de mutation. Ce sont les préfets qui accordent, pour cinq ans, le statut d’association cultuelle. Les différends éventuels entre associations relèvent du Conseil d’État.


Sur le plan domanial et financier, la loi a trois conséquences majeures :



  • les ministres des Cultes (évêques, prêtres, pasteurs, rabbins…) ne sont plus rémunérés par l’État (art. 2) (qui s’y était engagé lors du Régime concordataire français en échange de l’abandon par l’Église des biens saisis en 1790 (art. 14)), ce qui le libère d’un budget de 40 millions de francs, et celui-ci n’intervient plus dans la nomination des évêques ;

  • les établissements publics du culte sont dissous (art. 2) et remplacés par des associations cultuelles ayant pour objet exclusif de « subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte » (art. 18) ; ces dernières pourront recevoir le produit des quêtes et des collectes pour les frais du culte, mais elles ne devront en aucun cas percevoir de subventions de l’État, des départements ou des communes ;

  • les biens religieux saisis par l’État en 1789 restent sa propriété ;

    • l’État se réserve le droit de confier gratuitement les bâtiments de culte aux associations cultuelles. Les associations bénéficiaires, sont tenues « des réparations de toute nature, ainsi que des frais d’assurance et autres charges afférentes aux édifices et aux meubles les garnissant ». (art. 13) ; « toutefois, [elles] ne seront pas tenu[e]s des grosses réparations » (art. 14) ;

    • les biens mobiliers ou immobiliers grevés d’une affectation charitable ou d’une toute autre affectation étrangère à l’exercice du culte (comme les hôpitaux et les écoles) sont attribués aux services ou établissements publics ou d’utilité publique, dont la destination est conforme à celle desdits biens (art. 7) ;

    • l’État prolonge jusqu’au 9 décembre 1907, la mise à disposition gratuite des archevêchés et évêchés et, jusqu’au 9 décembre 1910, celle des presbytères, des grands séminaires et de la faculté de théologie protestante (art. 14).




La loi de séparation prévoit ainsi un inventaire des biens mobiliers et immobiliers (art. 3) des établissements publics du culte avant que ne soit rendue aux associations cultuelles la partie de ces biens estimée nécessaire au culte et que le reste soit saisi. Dans les faits, cet inventaire se fera de façon estimative (voir la section « La tourmente des inventaires »). Les inventaires seront interrompus par Clemenceau à la suite d’incidents meurtriers entre population et forces de l’ordre.


Sur le plan de la police des cultes, les cérémonies religieuses sont assimilées à des réunions publiques et soumises à déclaration préalable dans les formes de l’article 2 de la loi du 30 juin 1881[Note 1] sur « la liberté de réunion » (article 25).


Pour faciliter la transition, l’État assure aux ministres du culte le versement d’une indemnité pendant quatre ans (article 11).



Une loi rejetée par le Vatican |


La loi est violemment critiquée par Pie X (Vehementer nos du 11 février 1906), qui condamne la rupture unilatérale du concordat, proteste contre les nouvelles spoliations et refuse catégoriquement la mise en place des associations cultuelles, incompatibles avec l’organisation hiérarchique canonique catholique et les fonctions ministérielles respectives de l’évêque et du curé qui en découlent (Gravissimo Officii Munere, août 1906). Une partie du clergé français (en particulier Mgr Louis Duchesne, chanoine libéral qui sera à l’Index seulement quelques années plus tard) appuie cependant la loi, tandis qu’une autre partie de la droite catholique s’y oppose violemment (notamment l’Action libérale et la nouvelle Action française). Les juifs et les protestants (Wilfred Monod), quant à eux, font bon accueil à une loi qui correspond à leur mode d’organisation traditionnel de type presbytérien, le président de la commission ayant préparé la loi, Ferdinand Buisson, étant lui-même protestant libéral.


L’épisode des inventaires qu’elle inclut se révèle être le dernier épisode douloureux qui place, une fois de plus, la France au bord de la guerre civile. En effet, la loi de séparation entraîne la résistance décidée de Rome, qui interdit aux catholiques de l’accepter et condamne une loi qui a mis fin de façon unilatérale au concordat. En réalité, du fait du refus de la création des associations cultuelles, les frais très élevés de réparation des édifices religieux (cathédrales, églises…) préexistants à la loi de 1905 restent à la charge de l’État et des communes. Pour cause : aucun des biens confisqués en 1789 ou en 1905 n’est restitué (ce sont parfois les mêmes, certains ayant été rachetés à l’État entre-temps) et la contrepartie prévue lors de la confiscation par le décret du 2 novembre 1789, reprise lors du concordat de 1801 de subvenir, en échange, aux besoins du clergé est abandonnée à nouveau sans contrepartie. Les ministres du culte qui ne sont plus ni salariés ni logés par l’État, gagnent en revanche en indépendance (particulièrement les évêques).


Les bibliothèques des paroisses, évêchés et séminaires sont également saisies par l’État. Confiées à différentes bibliothèques publiques, elles contribuent à enrichir leurs fonds en ouvrages parfois rares ou précieux, surtout sur les questions religieuses, mais pas seulement.



La tourmente des inventaires |


Article détaillé : Querelle des inventaires.



L’église Saint-Martin, où fut tué Géry Ghysel.


Les inventaires des biens de l’Église suscitent des résistances dans certaines régions traditionalistes et catholiques, notamment l’Ouest de la France (Bretagne, Vendée), la Flandre et une partie du Massif central. Des manifestations s’y opposent, tandis qu’une circulaire de février 1906 dispose que « les agents chargés de l’inventaire demanderont l’ouverture des tabernacles », suscitant l’émotion des catholiques, pour qui cela constitue un grave sacrilège. Le 27 février 1906, des heurts ont lieu dans la commune de Monistrol-d'Allier, village de 1 000 habitants[8]. Le 3 mars, lors de la tentative d’inventaire faite dans la commune de Montregard, 1 800 habitants, un homme, André Régis, est grièvement blessé ; il mourra le 24 mars. Le 6 mars, à Boeschepe (Nord), commune de 2 200 habitants, lors d’un autre inventaire, un paroissien, Géry Ghysel, est abattu dans l’église. Le 7 mars 1906, le cabinet Rouvier tombe sur cette question, laissant la place à Ferdinand Sarrien.


Celui-ci confie le ministère de l’Instruction publique à Briand, qui exige que Clemenceau entre dans le gouvernement afin de l’avoir avec lui plutôt que contre lui. Devenu ministre de l’Intérieur, Clemenceau, notoirement anticlérical, joue l’apaisement, mettant fin à la querelle des inventaires par une circulaire de mars 1906 invitant les préfets à suspendre les opérations d’inventaire dans les cas où elles doivent se faire par la force alors qu’il ne reste plus que 5 000 sanctuaires, sur 68 000, à inventorier.



Une France divisée avant l’apaisement |




Manifestation devant Notre-Dame des Champs.


L’épisode des inventaires a été le dernier pic de tension importante entre catholiques et républicains, bien que le conflit ait perduré, sur d’autres aspects, jusqu’à l’entre-deux-guerres, apaisé seulement par le compromis trouvé entre Pie XI et la République, en 1924, via la création des associations diocésaines, le Pape se refusant toujours à accepter le principe des associations cultuelles qui niaient le rôle canonique de l’évêque dans l’organisation catholique.


On comprend alors que les cicatrices résultant de ce douloureux divorce entre Église et État aient mis des années à se refermer : ce fut en quelque sorte la mission du gouvernement suivant, mené par Armand Fallières (président de la République), Georges Clemenceau (président du Conseil de 1906 à 1909) et Aristide Briand (ministre de l’Instruction publique et des Cultes).



Le gouvernement Clemenceau |


Le sujet prioritaire du cabinet Clemenceau, formé en octobre 1906, demeure l’application de la loi de séparation des Églises et de l’État, fermement condamnée par Pie X (Vehementer nos). Cela soulève de nouveaux débats, le Vatican faisant tout pour empêcher la formation des associations cultuelles auxquelles sont censés être dévolus les bâtiments nécessaires à l’exercice du culte.


Attaqué par Maurice Allard, Aristide Briand, maintenu à l’Instruction publique et aux Cultes, rétorque le 9 novembre 1906 en rappelant que la loi de séparation est une loi d’« apaisement », et prétendant que l’État laïque « n’est pas antireligieux » mais areligieux[9]. Si la loi n’est pas appliquée d’ici décembre 1907, Briand déclare qu’il s’appuiera sur la loi de 1881 sur les réunions publiques afin de maintenir la possibilité d’un exercice légal des cultes. Le prêtre refusant de souscrire la déclaration préalable à chaque cérémonie prévue à l’article 25 de la loi, Aristide Briand, par circulaire du 1er décembre 1906, précise qu’une déclaration annuelle doit suffire à cet exercice. Le 11 décembre, le Conseil des ministres rappelle qu’en cas de non-déclaration (annuelle), les infractions seront constatées et sanctionnées : la situation menace de dégénérer en la création d’un « délit de messe ». Mgr Montagnini, à la tête de la nonciature apostolique de la rue de l’Élysée, est expulsé par le gouvernement, qui l’accuse d’inciter au conflit.


Les associations cultuelles catholiques n’ayant pas été constituées, tous les bâtiments ecclésiastiques, évêchés, séminaires, presbytères sont progressivement mis sous séquestre. Ainsi, à Paris, le cardinal Richard est expulsé de l’hôtel du Châtelet où était installé l’archevêché le 17 décembre. Mais se pose le problème du devenir de tous ces bâtiments.


Le 21 décembre 1906, un nouveau débat, durant lequel Briand accuse le Vatican de préconiser l’intransigeance afin de réveiller « la foi endormie dans l’indifférence », aboutit à la loi du 2 janvier 1907[10] qui vise à rendre impossible la sortie de la légalité des catholiques « quoi que fasse Rome[11] ». Par cette loi, d’un côté, l’État, les départements et les communes recouvrent à titre définitif la libre disposition des archevêchés, évêchés, presbytères et séminaires et le versement de l’indemnité est suspendue pour les prêtres non en règle avec la loi ; et de l’autre, la loi ouvre la possibilité de donner la jouissance d’édifices affectés à l’exercice du culte à des associations loi 1901 ou à des ministres du culte déclarés.


Le pape dénonce dans l’encyclique Une fois encore du 6 janvier 1907 les nouvelles spoliations de la loi du 2 janvier 1907 et refuse les modalités de la déclaration annuelle exigée pour l’exercice du culte. Le gouvernement parle d’« ultimatum » pontifical… et finalement, par la loi du 28 mars 1907, règle la question en supprimant l’obligation de déclaration préalable pour les réunions publiques. Les tensions restent vives entre le gouvernement et les autorités catholiques et leurs fidèles, si bien que dans un souci d'apaisement, plus de 30 000 édifices sont mis gratuitement à la disposition des Églises, et les sonneries de cloches explicitement autorisées. D’une manière générale, la jurisprudence administrative légitime les manifestations publiques qui satisfont à des traditions locales et à des habitudes (enterrements religieux, processions, etc.)


La position d’apaisement du gouvernement est confirmée par la loi du 13 avril 1908[12], qui considère les églises comme des propriétés communales et prévoit des mutualités ecclésiastiques (pour les retraites, etc.)[11].



La guerre et l’apaisement |


Article détaillé : Histoire de la laïcité en France.

C’est à l’occasion de la Première Guerre mondiale que la question religieuse est reléguée au second plan et que l’« Union sacrée » rassemble une France unie sous la bannière tricolore.


Mais, avant même l’Union sacrée politique, dès le lendemain du début de la Première Guerre mondiale, le 2 août 1914, Louis Malvy, ministre de l’Intérieur, envoie une circulaire aux préfets demandant que les congrégations catholiques, expulsées, soient de nouveaux tolérées[13]. Toutes les mises à l’écart du catholicisme sont révoquées : « Une ouverture appréciable est faite vers le monde catholique, qui n’est plus au ban de la République »[14]. Cette situation paradoxale, au vu du passé, est rarement signalée selon Jean-Jacques Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau[13].


Au sortir de la guerre, le gouvernement décide tout à la fois de transférer au Panthéon de Paris le cœur de Léon Gambetta, illustre fondateur de la République, et d’honorer le souvenir de Jeanne d'Arc en proclamant fête nationale le deuxième dimanche de mai.


En mai 1921, les relations diplomatiques sont rétablies avec le Vatican, le pape Benoît XV se montrant autrement plus conciliant que Pie X, notamment en promettant de consulter Paris avant la nomination des évêques. Le dialogue avec le Vatican aboutit, en 1924, au compromis des « associations diocésaines »[11] élaboré par Pie XI et le gouvernement : l’État français concède aux associations diocésaines placées sous l’autorité des évêques le statut d’« associations cultuelles » : autrement dit, l’organisation de type épiscopal de l’Église catholique est considérée conforme à la loi ce qui permet de sortir du blocage provoqué par l’absence, depuis 1905, de création des associations cultuelles catholiques prévues par la loi. Enfin l’Alsace et la Lorraine rattachées à nouveau à la France sont maintenues dans le statut de concordat qu’elles avaient en 1870, lors de l’annexion à l’Empire allemand, sachant que le Reich leur avait conservé ce statut sans le modifier.


La querelle religieuse menace de se rallumer après le succès du Cartel des gauches aux législatives du 11 mai 1924. Ce dernier décide en effet, dans un premier temps, d’étendre la loi de 1905 à l’Alsace-Lorraine, malgré la promesse contraire faite lors du rattachement de 1919. Les élus des trois départements concernés s’y opposent. Les évêques mobilisent les catholiques avec le concours du général de Castelnau, à la tête de la Fédération nationale catholique, et le gouvernement d’Édouard Herriot renonce à remettre en cause les arrangements antérieurs. L’anticléricalisme militant finit par décliner cependant que les Églises retrouvent, avec leur liberté, une nouvelle vigueur.



Bilan et perspectives |



Conséquences immédiates |


Le vote et l’application de la loi de séparation ont été les dernières étapes du mouvement de laïcisation et de sécularisation engagé en 1789. Le 9 décembre 1905 est une date capitale qui met fin au concordat napoléonien, mais aussi et surtout à l’antique union entre l’Église catholique de France et le pouvoir politique : cette loi de séparation instaure la laïcité.


La loi du 17 avril 1906 et le décret du 4 juillet 1912 ont confié la charge des 87 cathédrales concordataires au secrétariat d’État aux Beaux-Arts, devenu ministère de la Culture et de la Communication, en raison du refus des départements de les assumer[15]. La plupart des 67 autres existantes sont la propriété d'une commune : c'est le cas des églises construites avant 1905 et érigées en cathédrales lors de la création de nouveaux diocèses (Pontoise, 1965 ; Le Havre, 1974) ou de celles ayant perdu leur statut de siège épiscopal après la Révolution (Saint-Malo, Tréguier, Noyon, Lescar, etc.)[15] La cathédrale d'Ajaccio est dévolue à la région Corse, devenue collectivité de Corse[15].


Cette propriété de l’État s’étend à l’ensemble des dépendances immobilières et à la totalité des immeubles par destination et des meubles les garnissant. Le cadre juridique de l’aménagement intérieur des cathédrales a été analysé par Pierre-Laurent Frier, professeur à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), ancien directeur des études de l’École nationale du patrimoine[16] ; et la compétence du conseil municipal quant aux églises et aux biens qui y ont été installés a été traitée par Marie-Christine Rouault, doyen de la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Lille II[17] à partir de l’arrêt du 4 novembre 1994 du Conseil d’État. Les édifices postérieurs à 1905 demeurent généralement propriétés des associations cultuelles, maîtres d’ouvrage lors des constructions. Afin de gérer le patrimoine mobilier des lieux de culte, les conservations des antiquités et objets d’art ont été créées dans chaque département, par le décret du 11 avril 1908.



Caractère constitutionnel de la loi de 1905 |


En 2006, la Commission Machelon relève que le Conseil constitutionnel a évité par deux fois de donner un statut constitutionnel à la loi de 1905 (la France étant cependant définie comme République laïque par l'article premier de la Constitution de 1958). Dans sa décision du 23 novembre 1977 (dite « loi Guermeur »), le Conseil a consacré la liberté de conscience en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République en se référant à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen et au Préambule de la Constitution de 1946, mais sans indiquer à quelle(s) loi(s) il le rattachait. De même en 2004, lors de l'examen de la compatibilité à la Constitution de l’article II-70 du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, il ne se réfère pas à la loi de 1905[18],[19].


Toutefois, à l'occasion de la QPC relative au concordat en Alsace-Moselle, le Conseil constitutionnel statue en février 2013 en reprenant dans ses attendus de larges passages de la loi du 9 décembre 1905, intégrant de facto cette loi au bloc de constitutionnalité[20].



Outre-mer |


Lors de l'avant-dernière séance de débat à l'Assemblée nationale, le 30 juin 1905, il est adopté un amendement « Des règlements d’administration publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable à l’Algérie et aux colonies » qui diffère l'application de la future loi hors du territoire métropolitain[21].


La loi de 1905 s'applique dans les départements de Guadeloupe, Martinique, et Réunion, ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin en vertu d'un décret du 6 février 1911[22],[23]. En revanche, les décrets Mandel de 1939 entérinent l'absence de séparation dans les autres territoires où ne s'applique pas la loi de 1905 : Guyane, Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Nouvelle-Calédonie et Mayotte[24].


Dans les colonies, la loi de séparation n'est pas appliquée, sauf à Madagascar, où une séparation de fait existait déjà et où le gouverneur Victor Augagneur avait durement combattu le protestantisme (considéré comme favorable à l’Angleterre et à l’autonomie des Malgaches) où le décret du 11 mars 1913 reprend les deux premiers articles de la loi de 1905, ainsi qu'au Cameroun, le décret du 28 mars 1933[21]. En Algérie, le décret du 27 septembre 1907 imposait aux responsables des associations cultuelles d’être citoyens français, ce qui de facto soustrait l’islam à l’application de la loi de 1905[21]. Par la circulaire Michel du 16 février 1933, l’État règlementera même le droit de prêche dans les mosquées[25].



Cas de l’Alsace-Moselle |


Article détaillé : Concordat en Alsace-Moselle.

L’Alsace et la Moselle n’étant pas françaises au moment de la promulgation de la loi, celles-ci ont encore aujourd’hui un statut spécial, sorte de dernier héritage du concordat : les évêques, les prêtres, les rabbins et les pasteurs y sont toujours assimilés à des fonctionnaires et l’entretien des bâtiments est payé par l’État. L’enseignement religieux dans les écoles publiques est également préservé. La validité de cette exception est confirmée en février 2013 par le Conseil constitutionnel[20].



Évolutions |


Depuis sa parution la jurisprudence a complété la loi par plus de 2 000 pages[26] d’avis, de cours[18]. D’après les inspecteurs généraux des affaires culturelles François Braize et Jean Petrilli, cela a largement complété et modifié la loi initiale[27].


La loi du 19 août 1920 (parue au Journal officiel le 21 août 1920) relative à la construction de la Grande mosquée de Paris déroge ponctuellement à la loi de 1905 en accordant pour son édification une subvention de 500 000 francs, abondée par une souscription levée auprès des Musulmans d'Afrique du Nord, la Ville de Paris décidant a l'unanimité, de faire donation perpétuelle et gratuite des terrains nécessaires[28],[29],[30].



Réformes récentes |


En 2000, l’article 30 interdisant l’enseignement religieux pendant les heures de classe dans les écoles publiques est abrogé et codifié à l'article L.141-4 du code de l'éducation (ordonnance 2000-549 du 15 juin 2000, article 7-24).


En 2003, la loi subit un changement en ce qui concerne le port de signes religieux ostensibles à l’école. Cette suggestion a provoqué de nombreuses critiques dans certains milieux politiques français, qui craignent un retour à une union de l’État et de la religion, réintégrant ainsi la religion dans le domaine public.


En 2004, à la veille de la célébration du centenaire de la loi fondant la laïcité républicaine, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Économie, et sortant de son poste de ministre de l’Intérieur et des Cultes, s’interroge, dans un livre intitulé La République, les religions, l’espérance, sur une possible modification de la loi, sans toutefois en remettre en cause les fondements. Il propose de donner à l’État les moyens de pouvoir contrôler efficacement le financement des cultes, de libérer le culte musulman français de la tutelle de pays étrangers et ainsi de pouvoir limiter l’influence de ces pays sur la communauté musulmane de France. Ce contrôle impliquerait comme effet secondaire des facilités accordées par l’État en matière de formation des agents des cultes, en mettant par exemple à disposition des enseignants pour les matières non religieuses pour la formation des prêtres, pasteurs ou imams.


À l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le concordat en Alsace-Moselle, le Conseil constitutionnel confirme en février 2013 la validité constitutionnelle de cette exception, jugeant que la tradition républicaine observée par tous les gouvernements depuis 1919 et la Constitution de la Ve République n’ont pas « entendu remettre en cause les dispositions législatives ou réglementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l’entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l’organisation de certains cultes »[20].


En 2015, au sujet de l’Institut des cultures d'Islam, des controverses ont lieu au sujet du non-respect de la Loi de séparation des Églises et de l’État, à propos de son financement par l’État français[31].


En 2018, certains juristes considèrent que les règles d'exception imposées aux congrégations religieuses par la Loi de 1901 sur les associations, sont en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (la CEDH) et contreviennent aux articles 9, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme[32].



Notoriété |


Cette loi du 9 décembre 1905 est fréquemment évoquée lors de débats sur la laïcité en France, notamment à la suite d’incidents repris par les médias et la classe politique (affaires du voile islamique, statut des crèches de Noël, …).


Depuis 2011, le 9 décembre est reconnu en France comme Journée nationale de la laïcité[33]


Quelques collectivités territoriales françaises font référence à cette loi dans des odonymes (cf. Neuf-Décembre Ce lien renvoie vers une page d'homonymie).



Notes et références |



Notes |





  1. Article 2 de la loi du 30 juin 1881 :

    Toute réunion publique sera précédée d’une déclaration indiquant le lieu, le jour, l’heure de la réunion. Cette déclaration sera signée de deux personnes au moins, dont l’une au moins domiciliée dans la commune où la réunion doit avoir lieu.

    Les déclarants devront jouir de leurs droits civils et politiques, et la déclaration indiquera leurs noms, qualités et domiciles.
    Les déclarations sont faites : à Paris, au préfet de police ; dans les chefs-lieux de département, au préfet ; dans les chefs-lieux d’arrondissement, au sous-préfet, et dans les autres communes, au maire.

    Il sera donné immédiatement récépissé de la déclaration.

    Dans le cas où le déclarant n’aurait pu obtenir de récépissé, l’empêchement ou le refus pourra être constaté par acte extrajudiciaire où par attestation signée de deux citoyens domiciliés dans la commune.

    Le récépissé, ou l’acte qui en tiendra lieu, constatera l’heure de la déclaration.

    La réunion ne peut avoir lieu qu’après un délai d’au moins vingt-quatre heures.





Références |





  1. Selon la dénomination officielle).


  2. Henri Peña-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, Gallimard, coll. « Folio / Actuel inédit », 2003, 347 p. (ISBN 2-07-030382-9), « La laïcité aujourd’hui », p. 138-139.


  3. Nicolas Delmas, « La laïcité doit être interprétée de manière libérale, ouverte et intégratrice », sur lemonde.fr, 16 août 2016(consulté le 10 décembre 2016).


  4. Yves Lequin, Jean Baubérot, Histoire de la laïcité, CRDP de Franche-Comté, 1994, p. 145.


  5. Michel Winock, Clemenceau, éditions Perrin, 2007, p. 317.


  6. a b et cMichel Winock, Clemenceau, éditions Perrin, 2007, p. 318-319.


  7. Article sur le site Religion.info..


  8. Jean-Michel Duhart, op. cit..


  9. Michel Winock, Clemenceau, 2007, p. 346.


  10. Loi du 2 janvier 1907


  11. a b et cWinock, 2007, op. cit., p. 346 sq.


  12. Loi du 13 avril 1908


  13. a et bJean-Jacques Becker, Stéphane Audoin-Rouzeau, La France, la Nation, la Guerre : 1850-1920, Paris, SEDES, 2012, p. 272.


  14. Jean-Marie Mayeur, La vie politique…, cité dans « Jean-Jacques Becker, Stéphane Audoin-Rouzeau, La France, la Nation, la Guerre : 1850-1920, Paris, SEDES, 2012, p. 272 ».


  15. a b et c« Propriété et affectation des édifices cultuels en France: les grands jalons historiques et juridiques », sur Observatoire du patrimoine religieux.


  16. Les Petites Affiches no 111, 16 septembre 1994.


  17. Les Petites Affiches no 11 du 25 janvier 1995.


  18. a et bJacqueline Lalouette, « La loi du 9 décembre 1905 : quelques considérations sur ses principes et leur élaboration : Les principes, l’ensemble de la loi et la jurisprudence », Dans Robert Vandenbussche (dir.), De Georges Clemenceau à Jacques Chirac : l’État et la pratique de la Loi de Séparation, Villeneuve d’Ascq, IRHiS (« Histoire et littérature de l’Europe du Nord-Ouest », sur revues.org, 14 octobre 2012(consulté le 9 décembre 2016).


  19. Les relations des cultes avec les pouvoirs publics. Rapport au ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire  : travaux de la Commission de réflexion juridique présidée par Jean-Pierre Machelon, Paris, La Documentation française, 2006, p. 22-23.


  20. a b et cGuillaume Perrault, « L’Alsace-Moselle garde le concordat », sur LeFigaro.fr, 22 février 2013(consulté le 3 mars 2013).


  21. a b et cJean Baubérot, « LA SEPARATION ET L'OUTRE-MER », jeanbauberotlaicite.blogspirit.com, 31 octobre 2005(consulté le 4 juin 2018).


  22. « Décret du 6 février 1911 modifié déterminant les conditions d’application à la Martinique, à la Guadeloupe et à la Réunion des lois sur la séparation des Églises et de l’État et l’exercice public des cultes », cnrs.fr, 10 février 1911(consulté le 4 juin 2018).


  23. Hervé Maurey, « Les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte », senat.fr, 17 mars 2015(consulté le 4 juin 2018).


  24. « Les exceptions au droit des cultes issu de la loi de 1905 », vie-publique.fr, 24 juillet 2015(consulté le 4 juin 2018).


  25. Franck Frégosi, « Les contours fluctuants d'une régulation étatique de l'Islam », Hommes & Migrations, 1999(consulté le 4 juin 2018).


  26. Jean-François Colosimo, Historien des religions, éditeur et essayiste, dans l’émission « C dans l’air » France 5 intitulée : «  Zizanie autour de la crèche » le 24 décembre 2014.


  27. François Braize et Jean Petrilli, « Laïcité : que reste-t-il de la loi de 1905 ? », sur Slate, 2 juillet 2014(consulté le 9 décembre 2016).


  28. « Grande Mosquée de Paris », patrimoine-religieux.fr (consulté le 3 juillet 2018).


  29. JO de la République française du 21 août 1920.


  30. [PDF] La loi du 19 août 1920 et la Grande Mosquée de Paris.


  31. L’Institut des cultures d’Islam pointé en justice par une contribuable.


  32. Vincent Cador et Grégor Puppinck, « De la conventionnalité du régime français des congrégations » dans la Revue du droit public et de la science politique en France et à l'étranger, 2018.


  33. « 9 décembre: journée nationale de la laïcité », citoyendedemain.net, 7 décembre 2015(consulté le 3 juillet 2018).




Voir aussi |



Articles connexes |


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Sur les autres projets Wikimedia :






  • Vehementer nos, une encyclique du pape Pie X qui condamne la loi.

  • Rapports entre États et religions

  • Raoul Allier

  • Histoire de la laïcité en France

  • Séparation des Églises et de l'État

  • Jean de Bonnefon



Liens externes |




  • Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Version votée en 1905.

  • Loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes.

  • Loi du 28 mars 1907 relative aux réunions publiques.

  • Loi du 14 avril 1908 modifiant les articles 6, 7, 9, 10, 13 et 14 de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.


  • La laïcité : débats 100 ans après la loi de 1905. Dossier d’actualité de la Documentation française.

  • Chronique d’un divorce annoncé. Tous les textes officiels et beaucoup d’articles des journaux de l’époque.

  • Le discours d’Allard lors de la séance du 10 avril 1905.



Bibliographie |



  • Jean-Marie Mayeur, La Séparation de l’Église et de l’État, Paris, Colin, Collection « archives Julliard », 1998, rééd. avec compléments, Éditions de l’Atelier, 2005.

  • Jacqueline Lalouette, La séparation des Églises et de l'État. Genèse et développement d'une idée. 1789-1905, Paris, Le Seuil, collection « L’univers historique », 2005.

  • Jean-Paul Scot, L’État chez lui, l’Église chez elle : comprendre la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’État, Paris, Le Seuil, Histoire, 2005, 389 p., (ISBN 9782020689175).


  • Jean Baubérot, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison, Le Seuil, Paris, 2004, 280 p., (ISBN 9782020637411).


  • André Damien, Yves Bruley, Dominique de Villepin et Jean-Michel Gaillard, 1905, la séparation de l’Église et de l’État : Les textes fondateurs, Librairie Académique Perrin, Paris, 2004.

  • Mathilde Guilbaud, La loi de séparation de 1905 ou l’impossible rupture, Revue d’histoire du XIXe siècle, 28 | 2004, 163-173.


  • Maurice Larkin, L’Église et l’État en France, 1905 : la crise de la séparation, Privat, Toulouse, 2004, 283 p., (ISBN 9782708956162).

  • Christophe Miqueu, Comprendre la laïcité, Paris, Max Milo, 2017.

  • Jean Sévilla, Quand les catholiques étaient hors la loi, Paris, Librairie Académique Perrin, 2005, 332 p., (ISBN 2-262-02196-1).

  • Jean-Michel Ducomte, La Loi de 1905. Quand l’État se séparait des Églises, Toulouse, Milan, collection « Les Essentiels », 2005.

  • Max Tacel, Restaurations, révolutions, nationalités (1815-1870), Paris ; Milan ; Barcelone, Masson, 1990, 318 p., (ISBN 9782225842597).

  • Francis Démier, La France du XIXe siècle : 1814-1914, Paris, Seuil, 2000, 602 p., (ISBN 9782020406475).

  • Marc Villemain, L’Esprit clerc : Émile Combes ou le chemin de croix du diable, Paris, Fondation Jean-Jaurès, 1999, 152 p., (ISBN 9782910461072).




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